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Blog consacré à l'écriture, mes projets, ce qui occupe mon esprit en général


Grim - Chapitre 1

Publié par Jia sur 3 Août 2015, 21:56pm

Catégories : #Histoires

Grim - Chapitre 1

Un…

Une bouillie verte et un morceau de viande dur comme du cuir gisaient au milieu de l'assiette. Ophélia tritura sa nourriture du bout de la fourchette en affichant une moue dégoûtée ; décidément, son père n'était pas doué pour la cuisine. Mais il ne restait que ça dans le frigidaire... Sagement posé sur ses genoux, Grim, son doudou, semblait jeter un regard empli de dédain au plat réchauffé.

Afin de retarder le moment fatidique de la dégustation, la petite fille s'attarda sur les ustensiles qui encombraient la table de la cuisine. La vaisselle était passée par plusieurs stades de crasse : blanc, vert, marron, puis noir. La saleté avait fini par devenir aussi dure que du ciment. Une semaine auparavant, Ophélia s'était fabriquée un fort avec. Plusieurs verres et tasses servaient de piliers porteurs puis une poêle constituait le premier niveau. Par-dessus, des assiettes faisaient office d'étages intermédiaires avant l'arrivée d'une casserole retournée. Le tout était surmonté d'un ultime verre à pied qui avait dû servir à contenir du vin à une lointaine époque. Autour de cette construction, des couverts dessinaient des jardins, ou des douves. C'était au choix.

Ophélia embrocha son morceau de viande avec sa fourchette et fit mine de le promener sur le bâtiment face à elle.

  • Il faut sauver la princesse. Appelez le prince !

Un cure-dents enroulé de coton blanc s'agita désespérément du haut de la poêle. Le prince Petite Cuillère fit son entrée.

  • Ne vous inquiétez pas très cher, je vais aller secourir sa majesté. Tchouc tchouc tchouc... Oh non ! Un marais puant !

Ophélia déposa un peu de sa purée de légumes à la base du château. Grim regarda la scène sans réagir. Puis, alors que le valeureux chevalier s'apprêtait à franchir cet obstacle, des pas se firent entendre dans les escaliers. La petite fille s'arrêta net ; son père descendait. Elle reposa les acteurs de fortune et engloutit précipitamment son assiette. La viande manqua de l'étouffer mais une rasade d'eau fit descendre le tout dans son estomac.

La mine fatiguée, le père d'Ophélia pénétra dans la cuisine. Il était de grande taille, presque trop pour passer certaines portes. Ses vêtements, bon marché, ne lui allaient pas et flottaient autour de lui. Il n'était plus qu'à une poignée de cheveux de la calvitie ; seules quelques mèches grises entouraient son crâne. Enfin, des petites lunettes posées sur son nez n'arrivaient pas à dissimuler ses cernes.

  • Bonsoir papa.

  • Bonsoir ma puce.

Il se pencha pour lui déposer un baiser sur le haut de son front. Ses mains lissèrent maladroitement les boucles brunes de sa fille.

  • Ce n'était pas trop mauvais ? demanda-t-il en désignant du regard l'assiette soigneusement nettoyée.

  • Non non, prétendit Ophélia.

Son père remarqua qu'elle enserrait Grim, comme à chaque fois qu'elle mentait. Ou du moins, à chaque fois qu'elle lui parlait de sa cuisine.

  • C'était comment le travail ?

  • Pas très mouvementé, se contenta de répondre le cinquantenaire.

Le père d'Ophélia travaillait dans l'informatique. Tous les jours, des gens l'appelaient concernant des problèmes avec leur ordinateur et c'était à lui de trouver des solutions. La petite entreprise qu'il avait érigée il y a plusieurs années de cela avait été florissante avant d'être rachetée par un grand groupe. Maintenant, il était devenu simple employé et peinait à joindre les deux bouts avec son salaire.

  • Et toi, l'école ?

  • Pas très mouvementée.

Il lui adressa un faible sourire avant de se renfermer dans son mutisme habituel. Ophélia chercha d'autres sujets de conversation mais n'en trouva aucun. Elle regarda son père ouvrir la porte du frigidaire et se saisir d'une canette de bière. S'ensuit le « pshhit » d'ouverture bien particulier.

  • Laisse ton assiette sur l'évier, je ferai la vaisselle plus tard.

C'était la même routine tous les soirs. Et à chaque fois, elle s'en voulait de ne pas être capable d'avoir un vrai dialogue avec lui. Ses bras serrèrent un peu plus fort Grim. Elle enfouit son menton dans la tête toute molle du doudou et ne réagit pas lorsque son père quitta la pièce. Peu après, le craquement des escaliers se fit entendre. Il était remonté dans sa chambre. Il n'en sortirait que plus tard, lorsqu'elle serait couchée pour venir chercher d'autres canettes.

Ophélia resta en silence dans la cuisine à se balancer sur sa chaise. Le prince Petite Cuillère était juste à côté mais elle n'avait plus le cœur à jouer. Elle le coinça dans une rainure de la table de sorte qu'il puisse voir la princesse, toujours inaccessible.

Satisfaite, elle débarrassa ses couverts et les passa rapidement sous l'eau. Un coup d'éponge et toute trace de la purée disparut. Si elle avait dû attendre que son père nettoie après son passage, plus aucune assiette ou fourchette ne serait propre dans toute la maison !

Vingt heure. Il était temps pour elle de remonter dans sa chambre et de finir ses devoirs. Les marches frémirent à peine sous ses pas traînants. Le vieil escalier à colimaçon était très vieux ; il s'agissait d'un aménagement que les parents d'Ophélia avaient laissé en l'état. Avant la naissance de la petite fille, ils avaient effectué des travaux pour rendre la maison coquette. La cuisine avait été repeinte d'un vert pastel, la moquette du salon était devenue un beau parquet de caractère... Mais les rénovations semblaient s'être subitement arrêtées après le rez-de-chaussée. Seule la chambre d'Ophélia avait bénéficié de quelques arrangements mais rien de conséquent : la salle de bain était vétuste, la chambre parentale, vieillotte, et la cave, franchement terrifiante. Ophélia n'allait de toute façon jamais dans les deux dernières pièces ; son père le lui avait formellement interdit.

Elle se lava les dents pour éviter d'avoir à ressortir de sa chambre plus tard dans la soirée. Une fois fait, elle enfila sa chemise de nuit préférée, une tunique rose des plus basiques. Ses vêtements sales furent envoyés dans le panier à linge derrière la porte. Puis, elle choisit rapidement ses affaires pour le lendemain. Elle partait presque tous les jours en retard, autant essayer d'économiser du temps. Un simple T-Shirt blanc délavé et un jean l'emportèrent. Elle alla ensuite se caler devant son bureau et commença sa rédaction. Alors qu'elle s'apprêtait à ouvrir sa trousse pour écrire les premières lignes, elle s'aperçut que Grim était resté sur le lit. Incapable de commencer sans son ami, elle alla le chercher et le déposa bien en évidence face à elle. Tout était en place, elle pouvait commencer.

Présente toi brièvement, et explique pourquoi tu veux avoir un correspondant.

Ophélia ne tenait pas particulièrement à avoir un correspondant. Les lettres qu'ils devaient leur envoyer leur donnaient du travail supplémentaire. En plus, il ne pourrait certainement pas venir à la maison pendant l'été. Mais elle n'avait osé en parler à sa maîtresse, et le reste de la classe avait été si enthousiaste qu'elle n'avait pu protester.

Je m'appelle Ophélia et j'ai neuf ans. J'habite seule avec mon papa dans une petite maison près de l'école. J'aime le dessin, écrire des histoires et les animaux, même si nous n'en avons pas chez nous parce que papa est allergique.

Ophélia hésita pour la suite, devait-elle dire la vérité ? Avouer qu'il y avait très peu de chances qu'il puisse venir la voir ? La maîtresse avait déjà tenté l'expérience l'année précédente mais l'autre école avait annulé au dernier moment. Ophélia espérait qu'il en serait de même cette année. Elle consulta Grim du regard. La peluche la fixa sans esquisser la moindre réponse.

Elle reporta son attention sur sa feuille et gribouilla quelques lignes à propos des cours de tennis qu'elle avait pris aux dernières vacances. Rien d'exceptionnel, juste un stage proposé par le centre aéré où elle allait à chaque congé.

De son côté, Grim ne détachait pas ses yeux de la fillette. Il la voyait se concentrer, se pincer les lèvres en quête d'idées, pour finalement souffler, n'ayant pas d'anecdotes à raconter.

A l'extérieur, la nuit enveloppait déjà le quartier ; le temps avait filé à une vitesse folle. Et la rédaction n'avançait pas. Ophélia soupira devant sa page de cahier à peine entamée pour finalement ranger pêle-mêle ses affaires dans son sac. Elle aurait tout le temps de la faire demain.
Elle sortit un petit miroir ainsi qu'une brosse à cheveux du premier tiroir de son bureau et entreprit de démêler sa crinière brune. Elle avait en sa possession le seul miroir de la maison. Il n'y en avait nulle part ailleurs dans toute la bâtisse, pas même dans la salle de bain.
On toqua à sa porte.

  • Ophélia, il faut dormir maintenant.

  • Oui papa.

Ophélia se saisit de Grim et se glissa dans son lit. Elle vérifia que son réveil était correctement réglé avant d'éteindre la lumière. Alors que la veilleuse se mettait automatiquement en marche, son père redescendait déjà les marches pour aller dans la cuisine.

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